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s p r i t   d e   l a   t r a n s e

S'il symbolise à lui seul le boum du "Frankfürt beat" et la joyeuse déferlante de trance allemande, sa musique a beaucoup évolué depuis l'époque Harthouse. En témoigne "Fusion", son dernier album, dont l'éclectisme et la maturité relèguent Off et sa pop-story à une vie antérieure. Aujourd'hui, Sven Väth s'est calmé côté look et substances pour nous restituer l'essence d'une musique psyché aux multiples influences. De Goa à la Love Parade, de la pop-star au label-manager, en néo-romantique ou en cyber-punk, le parcours alambiqué du "Harlequin" germain pourrait se résumer à une longue histoire de fusions. De retour à Paris pour la soirée Alien du 23 janvier, son come-back en a surpris plus d'un : exit la trance et le look déjanté, place à l'électro et aux sons subliminaux d'une techno dévastatrice, menée de main de maître par un Sven sobre et concentré...

 

 

Qu'as-tu pensé de la soirée d'hier ?

C'était curieux de se retrouver dans un sous-sol d'entrepôt en plein Paris. Il faisait assez sombre mais le public avait la pêche, les gens criaient, sautaient, m'encourageaient... J'étais ravi.

 

Dans quels types d'évènements préfères-tu te produire aujourd'hui ?

En club. Question de sécurité. Je me suis si souvent retrouvé dans des soirées foireuses, où le son manquait, où les conditions mêmes de la fête se révèlaient dangereuses que j'apprécie désormais le confort des clubs, aussi bien pour moi que pour le public. Mais dans l'esprit, les plus belles fêtes resteront toujours celles qui ont lieu en plein air, sur une plage, dans un champ ou à la montagne...L'ennui, c'est que ce type d'évènement bien organisé se fait rare en Europe...

 

Tu te rends toujours aussi souvent à Goa ?

Plus tellement. La dernière fois que j'y suis allé, c'était en 95. J'avais été déçu, l'endroit avait trop changé, la magie d'autrefois a été récupérée par le tourisme. Je préfère nettement aller dans le sud de l'Asie, en Thaïlande ou en Indonésie. Il y a de petites îles au large qui attirent des travellers du monde entier, dans un esprit très "peace" qui a gardé toute son authenticité.

 

Qu'est-ce qui t'attire en Asie ?

Le côté spirituel. L'état d'esprit des Asiatiques diffère tellement de celui des occidentaux... C'est une sorte de pèlerinage chaque fois que je vais là-bas, ça me permet de me ressourcer. Je pars en Thaïlande bientôt, je vais enfin pouvoir dire "ouf", regarder un peu vers l'intérieur... J'ai beaucoup voyagé, j'ai été attiré par plein de pays différents mais aucun ne m'a prodigué la même paix que cette région d'Asie. C'est l'endroit le plus zen que j'ai jamais connu.

 

Tu es devenu un vrai sage alors ?

(rires)  Oh, je ne pense pas encore ! Mais la spiritualité a pris une grande place dans ma vie. C'est la plus grande de mes découvertes après la musique. La spiritualité représente une sorte d'équilibre pour moi. Je considère cela comme un apport individuel, pas comme une religion. Je n'y consacrerai pas toute ma vie, il n'est pas question que je tombe dans une sorte d'abandon mystique. Mais cela m'a appris à apprivoiser mon aura, à mieux comprendre le monde et les gens. Au niveau musical, la spiritualité a aussi été un plus, cela m'a permis de mieux communiquer avec le public pendant mes sets et de donner le meilleur de moi-même. Je considère le travail du DJ comme un échange d'énergies.

 

Tu envisages le DJing comme une sorte de méditation ?

Le mix me conduit à l'état de transe, au sens propre du terme. Mais, au-delà de la musique, qu'est-ce que la transe ? Je ne suis pas sûr que beaucoup de gens se soient déjà posé la question. La transe est un état de conscience modifié par lequel on accède au vide, à la monotonie induite par le rythme. En pénétrant le rythme, l'esprit et le corps s'harmonisent jusqu'à la transe. C'est la clef du voyage, la route de l'innocence... La techno et la house sont des musiques pour faire bouger le corps et faire entrer en transe. Mais les musiques de relaxation comme l'ambient sont aussi une grande source de paix intérieure. En s'adressant à l'esprit, l'ambient suscite le silence et rend favorable à la méditation. Musique environnementale, l'ambient est partout : dans la nature, dans la rue, dans chacun des bruits qui nous entourent. Il suffit de savoir écouter, d'être attentif... J'ai découvert cette musique au début des 80's, grâce à des compositeurs comme Klaus Schulze et Brian Eno. Depuis, j'ai toujours cherché à retranscrire un côté spirituel dans ma musique.

 

Est-ce-qu'il t'arrive de jouer dans des chill-outs ?

Parfois, mais je n'en ai pas eu l'occasion ces derniers mois. Je n'ai plus trop le temps en ce moment, je travaille sur des musiques plus rythmées. Mais chez moi, on peut dire que ça ressemble à un chill-out géant !

 

Qu'est-ce que tu préfères aujourd'hui : le mix ou la production ?

Le mix, encore et toujours ! La production m'intéresse ponctuellement mais le DJing reste mon activité essentielle. C'est un échange, une communication avec le dancefloor qui n'existe dans aucun autre métier. Un set, quel qu'il soit, restera toujours un moment unique et privilégié.

 

Dans ton cas, il semble que le charisme soit plus important que la technique...

Tout dépend de ce que je joue. Un set, c'est quelque chose de vivant, ça doit évoluer en permanence, de mille et une manières... Je pense qu'il faut avoir un minimum de technique à la base, mais le plus important reste la communication que tu établis avec le dancefloor. Je ne comprends pas ce que certains DJ's enfermés dans leur set, qui ne regardent même pas ce qui se passe sous leur nez, peuvent apporter aux gens. Moi je suis là pour eux avant tout ; je ne joue jamais pour moi-même, sinon je resterais chez moi ! J'aime voir les gens réagir à la musique, j'aime que l'on partage les mêmes émotions. Un set, c'est un acte d'amour.

 

Techno, trip-hop, électro... Ton dernier album délaisse la trance pour une aventure beaucoup plus éclectique. Une page se tourne ?

Dans un sens, oui. Cet album constitue une sorte de synthèse, il reflète un peu toutes mes influences musicales. Il s'adresse aussi bien aux clubs qu'à l'écoute domestique. J'ai volontairement abandonné le son trance d'Eye Q qui caractérisait ma musique au début des 90's pour revenir à des choses plus funky, jazz... Avec plus de groove, en quelque sorte. J'ai voulu fournir matière à danser. Ce disque contient des beats beaucoup plus accrocheurs que sur mes productions antérieures. "Fusion" est mon troisième album mais c'est pour moi le plus authentique, c'est celui qui prend à mon sens la meilleure direction artistique.

 

Y a-t-il une idéologie derrière ta musique ?

La musique offre l'opportunité de t'exprimer, et donc la possibilité de faire passer un message. Bien que ma musique soit strictement instrumentale, elle n'en comporte pas moins un sens pour autant. Le but, c'est la transe, que les gens se rassemblent et partagent un bon moment en l'écoutant. L'idée, c'est la tolérance, une communication globale qui n'a pas forcément besoin de paroles pour s'exprimer. Le rythme parle de lui-même, la musique transcende les mots et les frontières...

 

Avec Eye Q, tu es considéré à juste titre comme le père fondateur de la trance "old school". Pourquoi avoir arrêté la division Harthouse ?

Déjà parce que Harthouse représentait le son typique d'une époque et que cette époque est aujourd'hui révolue. La trance allemande est devenue de la pop, j'ai donc eu envie de passer à autre chose. Et puis le label causait un véritable conflit d'intérêts au sein d'Eye Q, pour moi comme pour Ralf (Hildenbeutel, son associé - NDR ). Le fait d'arrêter la production sur Harthouse nous a ôté une grosse épine, aussi bien financière qu'artistique, car on commençait sérieusement à tourner en rond. Un label pop, non merci, j'ai déjà donné ! Pourquoi pas ressortir "Electrica Salsa" pendant qu'on y était !

 

Cyber-punk, neo-hippie... on t'a souvent vu arboré des looks provocateurs dans le passé. Qu'est-ce que cela représentait pour toi ? Pourquoi es-tu revenu à une image beaucoup plus sobre ?

Voilà 16 ans que je suis DJ et je t'assure que j'en ai vu de toutes les couleurs ! La mode est souvent liée aux tendances musicales. J'ai moi-même été piercé, barbouillé de maquillage, fringué dans des styles extrêmes, tout ça pour ma satisfaction personnelle. J'aime les attitudes un peu étranges et provocatrices, qui expriment une certaine ironie. Je pense qu'il existe autant de looks que de personnalités. Mais paradoxalement, il y a des gens qui se servent de la mode pour pallier à un manque de caractère, qui se disent : "si je m'habille en rebelle, je suis un rebelle", alors que c'est tout le contraire. Beaucoup de fashion victimes se cherchent en fait dans les réactions d'autrui. Personnellement, je me suis bien amusé, j'ai changé mille et une fois de look... Et puis j'en suis revenu, je suis ce que je suis. Aujourd'hui, je me dis que je n'ai pas besoin d'une image particulière pour affirmer ma personnalité, et encore moins d'un miroir pour me prouver que j'existe.

 

Que penses-tu de la notion de tribu, dans laquelle se retrouvent nombre de familles musicales ?

Il est vrai qu'un clubber house ne s'habille pas de la même façon qu'un junglist... Personnellement, je ne me suis jamais looké pour revendiquer mon appartenance à une tribu quelconque. Je préfère le principe d'individu à celui de tribu.

 

Y a-t-il une chose que tu n'aies pas encore fait et qui te tiendrait à coeur ?

Il y a des tas de choses qui m'intéressent. Hélas, la vie est courte et on ne peut pas tout faire. Faute de temps, des choix s'imposent. Il y a des jours où j'aimerais arrêter le temps ou pouvoir me passer de sommeil pour gagner quelques heures par jour. Il faut que j'arrête de rêver ! Quand on dédie sa vie à une passion, c'est le prix à payer. Par contre, je n'essaye jamais de faire plusieurs choses à la fois. Je préfère me concentrer sur un seul truc et m'engager à fond dedans...

 

 

Eva D. Lysid

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