R é s i d u s
La Laune, le 21 avril 2019
C'est marrant, ce pacte qu'on signe avec soi-même pour se domicilier dans l'écriture. On arrive en résidence avec la casquette AUTEUR qui nous ferait presque oublier combien on a du mal à se situer dans une CSP, et sous la visière, l'horizon scintille de phrases sublimes qui tomberaient toutes seules, comme si la magie de La Laune allait faire le boulot à notre place. On rêve de fulgurances au clair de lune, de pensées construites comme le temple de Borobudur, du génie qu'on trouverait sous le sabot d'un cheval. Puisque la poésie est là, il n'y a qu'à la cueillir, n'est-ce pas ?
Dans tes rêves, l'auteur.
Ici la terre si plate va s'occuper de tes hauteurs.
Tu croyais que tu allais entrer comme ça avec ton gros baluchon de problèmes majuscules, et qu'après avoir tout bien résidé, tu ressortirais légère comme la huppe, le sac-poubelle de ta vie transmuté en chef d'oeuvre mangeur d'arbres ?
Non, bien sûr, on en rigole : si tu tiens bon la barre, ce que tu as commencé ici aboutira dans un an, deux ans, et comme la fin du monde a tout loisir de survenir avant, personne (sinon toi) ne t'en voudra si tu restes couchée dans l'herbe. Elles sont si belles, ces prairies de narcisses au bord des étangs, entends-tu la conversation des fauvettes ? Elle vaut bien la phrase suprême que tu contemples à l'horizon - cette ligne parfaite, insaisissable.
Alors fous-toi la paix, tu veux ? Sois assez humble pour accepter la sécheresse, quand ta plume est aussi stérile que la terre craquelée des marais, quand le vent n'agite rien de bon, c'est ok. Regarde sous les étoiles, les pins stoïques. Comprends-tu le concert des grenouilles, la trompette des talèves ? La vie qui s'élève ? La sève qui s'élance ?
Le ciel est une page blanche, et les flamants volent dedans.
Ecoute la nuit, le cœur immense. La Laune sait tout ce que ce que tu ne saisis pas.
Tu vois comme le cheval blanc se fout du clocher qui brûle ?
Allez, pose ta casquette. Sans la visière, l'horizon scintille de ta vérité.