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L a    T e c t o n i q u e    d e s    r ê v e s

« Sur le bord du cratère, Imaadi sortit tout net de sa transe. Il se redressa d'un seul bond, gonfla sa poitrine comme un poisson-globe sous pression, avant d'exploser au nez d'Eva :

 

Va-t'en ! vociféra-t-il d'une voix de baryton. Tu ne vois pas que tu l'excites ? Le volcan t'a senti, il est en train de se réveiller. C'est TOI qui le mets dans cet état, c'est toi : TU PUES LA MER ! ... »

C'était donc lui. Un trou béant à la surface, parfaitement circulaire, le baiser perforant d'une météorite géante. (…) Imaadi s'était approché jusqu'à risquer l'asphyxie pour se prosterner sur les lèvres du monstre.

 

« Droit devant eux, le Gunung Batur venait d'émerger au tournant d'un col rocailleux, planté comme une dent creuse à 1700 mètres au-dessus d'un lac brumeux. Tout autour, forêts, temples et villages des siècles passés avaient tous été engloutis par les foudres récurrentes de la montagne de feu. Auguste vision d'une Faucheuse tellurique, qui dans son noir manteau de lave avait fait table rase du passé. Eva ne put s'empêcher de se trouver quelques affinités avec le phénomène : Paris, Bug, les Dj's, ses platines, son monde, son nombril et les gens qui tournaient autour, tout cela aussi avait été enseveli sous les émanations de ce qu'elle considérait déjà comme sa propre éruption spirituelle. »   (Cf page 104)

« La gueule fumante du Batur était à deux bonnes heures de grimpe sportive. Dans le silence calciné des pentes lunaires, Eva crachait ses paquets de clopes les yeux rivés sur le sol charbonneux, s'arrêtant de temps à autre pour se retourner sur le paysage de toundra volcanique qui s'étendait en contrebas. La verdure omniprésente sur le reste de l'île avait disparu au profit de gris cendrés, de gris brumeux et de gris anthracite. Seules de rares couleurs oxydées apparaissaient çà et là, par touches minérales. Plus ils se rapprochaient du cratère, plus les rochers à l'entour se pigmentaient de rouges, de pourpres et d'ocres sulfureux ; plus le sol se réchauffait, sensible et cendreux. D'immenses tumulus de lave statufiée se dressaient le long du sentier, autant de stalagmites sentinelles veillant sur les entrailles de la terre. (…)

 

© Stéphanie Lopez

 

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Eva pouvait sentir l'écorce du monde trembler sous ses semelles. Le truc qui grondait là-dessous donnait l'impression de contenir tout le tonnerre de la création, toute la rage de l'univers qui sourdait juste là, sous ces deux humains dans leurs petits souliers. (…) Imaadi s'était approché jusqu'à risquer l'asphyxie pour se prosterner sur les lèvres du monstre. Eva le vit dangereusement bloquer au bord du gouffre, sur les molaires du cratère. Rien ne semblait pouvoir le détourner de sa pieuse adoration, ni ses cris affolés qui le priaient de s'écarter, ni les pulsions gazeuses qui faisaient tonner le Batur à intervalles réguliers, ni les grondements étonnamment cadencés, qui se mirent à redoubler d'intensité. Plus le ramdam volcanique s'accentuait, plus Imaadi restait de marbre...

 

Jusqu'à ce qu'il se produise un drôle de phénomène : au milieu des infrabasses et des craquements tectoniques, une vraie musique, soudain, assaillit la tête d'Eva. Ce n'était pas le gamelan d'Imaadi, il était toujours accroché dans son dos. Non. C'était le volcan lui-même qui jouait ses propres lignes de basses. Un son infernal. Des rythmes sismiques. Concassés. Tonitruants. De la drum'n'bass, en quelque sorte, par-dessus quoi Eva crut reconnaître les nappes mélodiques de Delphium ... »

 

(Cf pages 106-107)

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